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C'est une nouvelle qui secoue les sciences du vivant tout entières. On aurait enfin retrouvé l'ADN de la créature la plus fantasmatique ayant jamais peuplé la Terre : un dinosaure ! Non, nous ne sommes pas au début du film Jurassic Park. L'équipe de paléontologues américains et chinois à l'origine de cette incroyable découverte est bien réelle. Et elle n'a pas eu besoin d'une improbable trouvaille, tel le moustique gorgé de sang et piégé dans de l'ambre imaginé par les scénaristes hollywoodiens.
La réalité est plus simple : c'est dans un tout petit fossile découvert il y a plusieurs dizaines d'années, un anodin morceau de cartilage pétrifié, que se cachait ce trésor. Comme un clin d'oeil supplémentaire, c'est le conseiller scientifique du fameux film de science-fiction, Jack Horner, qui en avait fait la découverte à la fin des années 1980, au sein de la formation rocheuse Two Medicine, dans le Montana (États-Unis). Sur les lieux reposaient plusieurs vestiges de dinosaure à bec de canard, de l'espèce Hypacrosaurus stebingeri, un herbivore qui pouvait atteindre 10 m de longueur et vivait en Amérique du Nord il y a 75 millions d'années.
Et voilà que trente ans plus tard, alors qu'elle réanalyse l'un de ces fossiles, un morceau de cartilage provenant du crâne d'un bébé, Alida Bailleul, paléontologue à l'Académie chinoise des sciences, observe un étonnant phénomène : à l'intérieur de certaines cellules, notamment celles figées en pleine division, d'étranges taches sombres sont visibles à l'endroit même où l'ADN est censé se condenser en chromosomes ! Fébriles, les chercheurs injectent alors dans les tissus des molécules fluorescentes, qui ont pour propriété de se lier spécifiquement aux bases azotées de l'ADN. "Le noyau à l'intérieur des cellules s'est coloré, ce qui prouve que de l'ADN a été détecté", s'enthousiasme Alida Bailleul.
UN RÉSULTAT DÉROUTANT
Or aucun ADN n'est censé survivre aussi longtemps… Ses lois de dégradation sont claires.
"Jusqu'à présent, toutes les données montraient que l'ADN ne peut se conserver plus de 1 million d'années", abonde Céline Bon, chercheuse en anthropologie génétique au Muséum national d'histoire naturelle. Avec le temps, celui-ci se fragmente en petits morceaux, devenant de moins en moins exploitable, avant de disparaître entièrement. Et plus il fait chaud, plus l'ADN se dégrade. Les plus anciens échantillons retrouvés jusque-là avaient tous été conservés dans du permafrost ou des calottes glaciaires. Et même parmi ceux-là, aucun n'avait plus de 1 million d'années ! Alors un ADN de dinosaure, 75 fois plus ancien ? Le résultat paraît simplement aberrant.
RÊVES DE CLONAGE
Malgré tout, cette découverte fait naître chez les chercheurs l'espoir d'accroître comme jamais leurs connaissances sur les dinosaures. "Pour l'instant, on les étudie seulement au travers des oiseaux, qui sont des dinosaures aviens", rappelle Céline Bon. Et si les scientifiques ont déjà trouvé des protéines dans des fossiles vieux de 195 millions d'années (voir encadré), "les informations y sont beaucoup moins riches que celles contenues dans l'ADN", pointe Thierry Grange.
C'est une reconstitution de tout l'arbre phylogénétique des dinosaures, mais aussi une meilleure connaissance de leur écologie, voire de leurs maladies, que laisserait entrevoir une future étude de leur génome - sans parler des rêves de clonage. Pour y parvenir, il n'y aurait peut-être nul besoin de nouvelles et miraculeuses trouvailles. Car les musées et les collections regorgent déjà de fossiles. Combien d'entre eux cachent encore en leur sein un minuscule fragment d'ADN, certes un peu dégradé, mais prêt à se révéler ?
Mais si l'on exclut cette possibilité, comment expliquer les structures observées et, surtout, les résultats du test de coloration ? Une contamination extérieure des échantillons, ennemi majeur des paléontologues, est bien entendu possible. De nombreuses structures organiques ou minérales, d'origine plus récente que les fossiles, peuvent s'y déposer lors de la fossilisation ou de l'analyse par les scientifiques. De plus, "les méthodes de détection de l'ADN utilisées ne sont pas très spécifiques. Les colorants peuvent réagir avec d'autres substances organiques", prévient Thierry Grange, responsable de l'équipe Épigénome et Paléogénome à l'Institut Jacques-Monod.
Sauf que pour Alida Bailleul, cette hypothèse n'est pas envisageable : "La coloration a été observée à l'intérieur des cellules, précisément à l'emplacement du noyau", balaie-t-elle. Ce qui n'aurait pas été le cas si des organismes, par exemple des bactéries ou des virus, s'étaient immiscés dans l'échantillon : la coloration se serait alors répandue sur toute sa surface. Alors quoi ? Tout ce que l'on pensait savoir sur la conservation de l'ADN serait faux ? Décoder le génome d'un tyrannosaure, ou pourquoi pas de Lucy l'australopithèque, deviendrait du domaine du possible ? Pour Alida Bailleul, cette découverte amène en effet à revoir certains a priori : "L'ensemble de la communauté scientifique n'en sait pas assez sur la dégradation du génome dans les très vieux fossiles." Pour combler cette lacune, elle devra dépasser une puissante barrière cognitive : "Nous ne sommes pas encore prêts à envisager que de l'ADN soit conservé aussi longtemps. Mais il y a dix ans, personne n'aurait cru quelqu'un disant en avoir retrouvé des fragments vieux de 1 million d'années", argumente Thierry Grange.R
Nous sommes donc à un véritable tournant. Mais le chemin est encore long. Déjà, "il faudrait que ces expériences soient répliquées dans d'autres laboratoires par d'autres équipes", commente Céline Bon. Alida Bailleul, elle, voit déjà plus loin, et souhaiterait "analyser plus de fossiles et utiliser différents tests pour mieux comprendre le processus de préservation de l'ADN. Mais pour cela, il faudra l'étudier avec de nouvelles méthodes de chimie, d'histologie et de nouveaux séquenceurs, et donc innover". Avec pour but ultime de pouvoir, un jour, séquencer l'ADN découvert, c'est-à-dire déterminer l'ordre des bases qui composent la molécule et ainsi obtenir des informations génétiques cruciales sur notre dinosaure à bec de canard. Mais l'équipe ne pense pas que cela soit possible dans l'immédiat. "Les technologies actuelles de séquençage d'ADN ne fonctionnent pas correctement sur les fossiles très anciens, comme celui-ci", avoue Alida Bailleul. Avant toute chose, il faudrait commencer par mieux comprendre comment se dégrade le génome…

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